En chemin pour Reims, je me suis arrêtée au Familistère de Guise, à 1H30 environ de Lille.
Une escapade en solo, un vendredi après-midi… avec ce même sentiment de faire l’école buissonnière que lorsque j’avais mis les voiles pour visiter la Coupole de Saint Omer.
J’y suis arrivée avec peu de connaissances – ne m’étant pas renseignée (c’est un peu le principe du concept Partir à l’aventure) – mais la certitude que j’allais passer un bon moment car plusieurs proches m’en ont dit le plus grand bien (et cerise on the cake : grand ciel bleu sur Guise).
Mais qu’est-ce donc que ce Familistère ? Au départ, un homme : Jean Baptiste Godin (1817 – 1888)
Né dans une famille modeste de l’Ain et fils de serrurier, notre jeune JB se forme, sans réelle vocation, à ce même métier. C’est en parcourant la France pour se perfectionner dans son métier que son idéal pratique de justice sociale prend forme. Ouvrier inventif, il dépose en 1840, un brevet pour fabriquer des poêles en fonte. A l’époque, la tôle est le métal le plus courant or la fonte retient mieux la chaleur.
Il déplace alors sa fonderie à Guise (1846). Mais au-delà d’être le créateur des fameux poêles Godin et un génial industriel, il est un expérimentateur social de premier plan.
Disciple de Charles Fourrières, il rejoint la conception du philosophe d’une société harmonieuse. Lorsqu’un autre fouriériste, Victor Considérant, décide d’envoyer 150 colons au Texas pour créer son Phalanstère, Godin le finance. L’expérience est néanmoins un échec. JBG perd, en 1856, un tiers de sa fortune mais pas son optimisme. Il décide de se lancer à son tour et de ne plus compter sur d’autres pour mettre en application son idéal social. Cela lui prend 25 ans. En 1880, il créé l’association Coopérative du Capital et du Travail.
Le Familistère constitue un ensemble imposant mais aussi élégant. Il s’inspire de l’architecture du Palais Royal de Versailles. La structure est appelée : Palais Social. Le pavillon central est le cœur de l’édifice. La vaste cour vitrée est le lieu de rassemblements et de fêtes.
A son achèvement en 1865, la bâtisse comporte environ 112 logements généralement de 2 pièces. Au total, ce sont près de 450 personnes qui y vivent.
On peut visiter plusieurs appartements restaurés et meublés selon des époques différentes. On trouve systématiquement un poêle Godin.
JBG souhaitait que les ouvriers aient les mêmes privilèges que les Bourgeois : culture, éducation, confort… Dès le début sont créées des associations sociales, culturelles et sportives. On trouve des écoles, un théâtre, une bibliothèque…
Hygiéniste, il crée un économat pour que les familistères bénéficient à bon prix, d’une alimentation équilibrée et de produits de qualité.
Il était sensible par ailleurs au fait que les gens aient accès à l’eau (sanitaires communs mais également une piscine de 50M2 alimentée par les eaux chaudes des ateliers industriels), à un air pur (avec des appartements traversants et bien ventilés) et à une lumière abondante.
Toujours soucieux d’équité, on note dans la cour, que plus l’on descend, plus les ouvertures (portes/fenêtres) sont hautes pour faire rentrer la même quantité de lumière.
Pour environ 45 M2, il faut compter 8 francs de loyer contre 60 à l’extérieur. Néanmoins certains font ce choix car tout est fait pour que l’on se rencontre au Familistère (pas de point d’eau dans les logements, sanitaires communs…). Passé un temps, je comprends que l’on en ait marre de croiser son chef dans la file d’attente des toilettes !
Habiter le Familistère est une évidence pour lui. Avec sa conjointe, il occupe un appartement au 1er étage d’une des ailes du bâtiment principal.
Il n’y a pas de directeur, uniquement des administrateurs. Ayant visité le musée Michelin, je me suis demandée si l’on pouvait faire un parallèle avec les cités ouvrières patronales. C’est un projet finalement différent car au sein du Familistère, les travailleurs et travailleuses participent à la gestion et aux décisions.
Si les gens travaillent à cette époque, en moyenne 15H par jour, ils travaillent 10h chez lui. Ses ouvriers partent à la retraite à 60 ans et comme ils gagnent beaucoup et dépensent peu, ils ont pu épargner pour leur retraite sur un support également créé par JBG. Il encourage les femmes à travailler et leur fournit un salaire identique aux hommes : 150 francs, contre 100 francs en moyenne en France à cette époque. Il refuse d’employer des enfants et l’école est obligatoire jusqu’à 14 ans.
Après la mort de JB Godin, les administrateurs suivants peinent à entretenir la dynamique. Par ailleurs, les 2 guerres mondiales font des dégâts. A la fin de la 2nde guerre, l’entreprise a le choix entre investir dans le Familistère ou faire évoluer l’entreprise pour fabriquer des poêles électriques. Ils font le 1er choix qui leur sera fatal. Le Familistère ferme en 1968.
En 1968, le groupe Creuset rachète l’entreprise. Pendant 20 ans, il ne se passe pas grand-chose. L’entreprise est ensuite rachetée par les cheminées Philippe, encore aujourd’hui propriétaire. A partir de 1996, l’idée d’un musée émerge. Il faut 4 ans pour monter le projet puis environ 20 ans pour rénover l’édifice.
Ce génial autodidacte, également journaliste, écrivain et homme politique, a laissé une œuvre qui est l’exemple d’une organisation profondément réformatrice. Il est aujourd’hui considéré comme un des pères de l’économie sociale.